mercredi 1 septembre 2010

Deux ans de lanternes

Je célèbre les deux ans de Zaia (oh, le « terrible two… ») en partageant avec vous quelques anecdotes et impressions sur l’un de mes moments préférés du spectacle…

L’une des scènes les plus touchantes pour moi est cette simple transition entre le grand volant (trapèze) et le main à main. Pendant que, dans l’obscurité, les techniciens s’affairent à démonter le filet de sécurité et que la structure du trapèze remonte lentement au « grid » (7e étage), Rose chante seule sur scène, son visage seulement éclairé par une lanterne. Nous, on se promène lentement dans les allées avec notre lanterne. On regarde les gens, un visage à la fois. Puis, on s'arrête, des acrobates en raquette nous survolent, il neige. On continue. Des gros blocs de glace géants arrivent au-dessus de la scène, transportant des acrobates fossilisés (des vraies personnes qui bougent pour de vrai!). Ça enchaîne avec le numéro de main à main, où un homme et une femme représentant Adam et Ève exécutent des figures incroyables sur une banquise. Autour, les chanteuses et la gambiste chantent et jouent langoureusement, des aurores boréales ondulent sur la toile de fond et l’ours polaire traverse la scène en clignant de yeux et en se brassant le popotin (oui, le fameux ours polaire dont j’ai failli faire le cul!). C’est un tableau absolument magnifique, tout en lenteur et en douceur. Le couple d’acrobates étonne par sa force et son contrôle, tout est si fluide malgré la difficulté des figures. Toutes les personnes qui ont vu le spectacle m’ont systématiquement mentionné ce numéro comme étant le plus impressionnant. Je vous le décrirais bien, mais ce serait trop difficile d’expliquer quel bras va où, et quelle papatte se plie dans quel sens… vous voyez le genre? C’est ce qu’on appelle « surk du sôôôleil ».

Bref, pour en revenir à la transition qui précède…
À ce moment (on est alors dans la 2e moitié du spectacle), pour moi c'est comme si on avait visité plusieurs planètes, comme si on était rendus si loin dans l'espace que tout y était gelé et froid et que ces personnes assises dans le public appartenaient à une race inconnue que je découvrais pour la première fois. Ce moment me touche beaucoup parce qu’il parle de chez moi : ça me rappelle le Québec, le silence de la neige qui virevolte par une nuit froide, la vitesse à laquelle elle tombe (et comme c’est de la « vraie » neige artificielle, ça tombe à la même vitesse que les flocons québécois, ce qui fait que j’y crois encore plus!), le bruit de nos pas en hiver, le soir qui tombe si tôt, les randonnées en raquettes... Et la musique, avec sa flûte basse qui passe comme un coup de vent, exprime vraiment bien la nordicité. L'interprétation de Rose est vraiment forte, on sent qu’elle donne beaucoup, dans toute son intégrité, qu’elle communique et partage vraiment, qu’elle vit pleinement ce moment. C'est magnifique de la voir, minuscule sur scène pendant qu'il neige. On dirait qu'elle est seule dans une tempête ou encore qu'elle la fait déclencher. Avant de sortir de la salle, je prends toujours quelques secondes pour m’emplir de cette vision. Tout cela me touche tellement que j'en ai souvent les larmes aux yeux, et ça me fait tellement penser à l'hiver que parfois j'en ai des frissons, je sens le vent pour de vrai sur ma peau, et j’ai les joues qui piquent à cause du froid… même après 800 représentations! C'est fort! C’est le génie de Violaine Corradi, compositrice québécoise d’origine italienne.
Une autre raison pour laquelle cette transition me touche, c’est qu’on a enfin un contact direct avec le public. Le théâtre et le spectacle sont ainsi faits que le « quatrième mur » se ressent beaucoup. Quand on regarde Zaia, on a un peu l’impression d’être devant une télévision, ou même un aquarium. La mise en scène laisse peu de place à l’interaction avec le public (sauf pour les clowns peut-être) et la salle gigantesque accentue la différence entre celui qui regarde et celui qui est sur scène. Et comme les Chinois ne sont pas des plus démonstratifs, il y a un fossé énorme entre les artistes et les spectateurs. Mais dans cette transition aux lanternes, on peut finalement se regarder dans le blanc des yeux et prendre le pouls de la salle. C'est une belle rencontre… quand on ne se heurte pas à des visages endormis! Souvent, il se passe vraiment quelque chose de spécial dans cet espace-temps sans mots, tout dans le regard. La consigne que nous avons eue pour ce passage est de chercher un ami, un cousin, un frère perdu… Personnellement, cela ne me dit rien. Pourquoi, à ce moment du spectacle, devrais-je chercher un mort dans un public de Chinois??? Et puis, franchement, ce n’est pas juste pour les pauvres spectateurs : ils ont payé une centaine de dollars pour leur billet, ils nous voient pour la première fois de près, tout maquillés et vêtus de costumes colorés, et tout ce à quoi ils ont droit serait des faces de bœuf qui cherchent dramatiquement un cousin décédé??? Alors, soir après soir, je fais ma délinquante et je prends mon temps pour les regarder individuellement, pour parler avec mes regards, sans sourire Crest ou expression désespérée digne d’un mauvais téléroman chinois. Plutôt, je pense à la rencontre, à la découverte de toutes ces personnes qui, dans mon histoire, représentent cette nouvelle race sur une planète gelée. Et paf la mise en scène. Mais j’aime mieux être sincère dans ma désobéissance que menteuse dans le protocole. C’est moi.

Et qu’est-ce qu’on trouve en se promenant dans le public de Zaia? Bon, premièrement, on pourrait séparer les spectateurs en quatre catégories.

1 : Ceux qui sont réellement fascinés, qui n’en reviennent simplement pas de toutes ces prouesses, de toutes ces paillettes, de toutes ces étoffes soyeuses et de toutes ces babioles volantes. Ils sont candides, émerveillés, les yeux grand ouverts sur ce spectacle. Ceux-là, adultes, enfants, adultes-enfants ou enfants-adultes, on les aime toujours.

2 : Ceux qui font des bye-bye frénétiques, qui se lèvent presque de leur siège, qui s’avancent dans la rangée pour être ben ben certains de décocher un regard pour eux, juste pour eux, comme si leur vie en dépendait. Ceux-là on les trouve très très chinois! C’est incroyable de voir à quel point c’est IMPORTANT pour eux que tu leur rendes leur ti-bye bye de la main! J’imagine que, dans un contexte où tout le monde se pousse et se pile sur les pieds à longueur de journée, dans l’anonymat de ces chevelures uniformément noires et de ces yeux systématiquement bridés, ce doit être extrêmement rare et précieux de se sentir unique, considéré, entendu… Malheureusement, notre équipe de création 100% nord-américaine nous a interdit de leur serrer la main, de leur faire des tatas ou autre geste instinctif de reconnaissance. J’avoue que c’est parfois très difficile de ne pas répondre à leurs appels intenses de communication. Des fois, je me mets dans la peau des Chinois qui ont payé leur billet une fortune et je me dis qu’ils doivent nous trouver bêtes et snobs de ne pas leur répondre ainsi. C’est presque insultant. Il n’y a pourtant qu’une seule fois où j’ai succombé et j’ai serré la main des gens. Ils voulaient tellement, ils auraient eu de la peine si on ne leur avait pas serré la main, sérieusement!

3 : Ceux qui, dès que tu t’approches, semblent soudainement complètement absorbés par le démontage technique qui s’opère sur scène. Et tant pis pour les 47 étapes du maquillage performés en cinquante minutes spécialement pour le plaisir de vos yeux, ma p’tite madame… Ceux-là, on passe au suivant, à moins qu’il n’y ait pas de suivant ni dans cette rangée ni dans la prochaine ni dans les dix prochaines (ce qui est courant). Alors, on insiste en espérant qu’ils sortent de leur mutisme. Si ça ne marche pas (ce qui est aussi très courant), on se console en se disant qu’ils sont peut-être fascinés par le visage de Rose qui chante sur scène…

4 : Ceux qui dorment ou qui se fouillent dans le nez… Au moins vingt pourcent de la salle. Ceux là, ah, ceux-là, la…

Et dans le registre des anecdotes, toutes catégories de spectateurs confondus, voici quelques petits moments savoureux :

-La première fois où nous avons eu une représentation achetée par une compagnie japonaise. 2000 Nippons dans le public, ça donne des gens qui applaudissent tout le long de ce passage aux lanternes, nous souriant sincèrement comme des grands-mamans émues. Après un an et demi de Chinois endormis, on avait finalement eu la preuve que le problème venait des deux côtés de la scène, pas juste des choix artistiques de notre équipe. Moi je vote pour qu’on déménage Macao au Japon. Ouais.

- Dans le même genre, récemment j’ai éclairé avec ma lanterne une madame qui pleurait, son papier mouchoir serré en petite boule dans sa main. Elle n’avait pas l’air en dépression, elle était simplement très émue par le spectacle auquel elle assistait. Moi, cette fois-là, j’ai eu envie de m’assoir à côté d’elle et de brailler sur son épaule aussi pendant tout le reste du spectacle. Je me suis dit que ce sont de tels moments qui donnent un sens à ce métier et à toute cette aventure.

-Il y a eu cet Indien qui m’a offert du maïs soufflé dans le creux de sa main, tsé, comme si j’étais un animal dans un cirque!!!! Je me suis demandé si je devais être fâchée ou me mettre à rire. J’ai opté pour l’expression incrédule, plus passe-partout et plus difficile à décoder. Moi qui adore le maïs soufflé en plus…

-En voulant attraper quelques flocons de neige, j’ai frappé une spectatrice au visage… Je crois que j’étais un peu trop habituée à performer pour des sièges vides…

-Quatre adultes qui testent le rebond de leur dossier comme des enfants dans un parc! Boing! Boing! Boing! Boing! En tout cas, en voilà au moins une gang qui avait du fun…

-Un spectateur de la première rangée qui veut faire signe à son ami de nous regarder, mais, en voulant lui taper sur l’épaule, renverse son chic champagne sur le complet de son voisin… C’est l’intention qui compte, comme on dit.

-Toujours dans cette même première rangée (mais pas la même soirée), un Chinois dort ouvertement. Un premier artiste s’approche à deux pouces de son visage avec sa lanterne… Le Chinois dort toujours. Un deuxième artiste fait de même… Le Chinois dort toujours. Un troisième tente sa chance… Le Chinois dort toujours. Quand le quatrième artiste s’approche, Monsieur Somnifère se réveille en sursaut… Mais pourquoi tu te payes un billet VIP si tu dors tout le long du spectacle? Moins cher qu’une chambre au Vénitien, y’a Zaia…

-Dans le temps de la grippe porcine, deux jeunes Chinoises portent des masques de médecins en papier bleu poudre (typique en Asie!). Je m’approche doucement pour mieux les regarder dans les yeux, car c’est tout ce qu’on voit de leur visage, et elles se reculent dans leur sièges, apeurées. Heille, c’est pas moi qui est supposée avoir peur de ceux qui portent un masque et qui sont potentiellement malades???

-Un vieux papi chinois, probablement bizouneur membre du fan-club de « Duct-Tape », qui semblait absolument fasciné en me voyant. Je m’approche pour lui donner ce regard spécial réservé à ceux qui ont les yeux brillants, mais je me rends compte qu’en fait il cherche à comprendre comment fonctionne ma lanterne. Quand il réalise que ce n’est pas une vraie flamme mais bien une lumière électrique, il semble déçu. Moi, en tout, cas, je suis déçue… et je me sens « cheap » avec ma petite lanterne à « switch on-off »…

-Un monsieur qui se mettait des gouttes dans les yeux… Franchement! Get a (bath)room!

-Un autre, habillé en complet veston cravate tout le kit, qui envoie des SMS, qui ne pourrait pas s’en foutre plus que ça de notre performance. Fâchée, je me penche au-dessus de lui comme pour lire son texte avec ma lanterne. Comme il s’aperçoit de ma présence, il sourit de l’air de celui qui s’est fait prendre et range son téléphone. Plus tard, je le revois à côté des loges… C’est le garde du corps de l’un des « big boss » du Vénitien… Oups…

-Regarder chaque personne avec attention, lentement. À la dernière rangée, désigner la scène d’un geste gracieux. Se retourner dans une respiration, d’un mouvement léger comme le vent… Puis foncer direct dans la rampe d’escalier, la fibre de verre de mes souliers claquant distinctement sur le métal des poteaux… Ding! Oh, zut…

P.S : Pour ceux qui possèdent le CD de Zaia, la transition des lanternes correspond à la chanson « Blue Ales »… mais sur scène c’est encore plus fort, bien sûr! Quant au main à main, il s’agit de la pièce « Ellâm Onru ».

2 commentaires:

CélineT a dit...

C'est effectivement un très beau moment du spectacle. Mais c'est encore plus intéressant vu du point de vue de l'artiste! Merci de partager avec nous... À répéter!!!

PS: En sillonnant les routes de l'IPE et du Nouveau-Brunswick, on s'est amusés à essayer d'associer les pièces de musique avec les numéros du spectacle... On a été en mesure de presque tous les reconnaître. Le main à main et les lanternes font partie de nos pièces préférées... avec la danse du feu, évidemment!

René a dit...

Pour moi, le moment de lanterne le plus mémorable est lors de notre premier spectacle en décembre 2008 assis dans la dernière rangée avant l'allée où tu traverses, alors que tu as passé ta lanterne au-dessus de nos têtes. Puis cette autre fois en janvier 2010 où tu t'es arrêtée à la rangée où nous étions assis avec Camil et Gabriel.