« I never wanted to fly so high », comme le chante si mélancoliquement Phil O’Flaherty, l’ami de Gabriel, en racontant l’histoire d’Icare du point de vue de la femme du mythique personnage.
J’adore cette chanson. Car moi non plus, je n’aime pas trop être dans les airs. Quelle ironie tout de même : avoir le vertige, la nausée quand ça tourne, les mains empotées et la peur de se retrouver la tête en bas, pour tout de même finir par travailler dans un cirque (et pas n’importe quel cirque…)! Quand je regarde mes collègues faire leurs acrobaties, je suis donc contente d’être une simple petite danseuse (car pour l’instant personne n’a eu l’idée saugrenue de vouloir une gigueuse volante!!!). Tous les jours, je suis sur scène et j’assiste au numéro de trapèze aérien, le aerial frame. Bien assise sur le septième échelon de l’échelle-iris, je contemple ces voltigeurs qui culbutent à 50 pieds dans les airs. Et moi je panique en pensant que je me suis peut-être assise un échelon trop haut aujourd’hui… Imaginez : quatre cents fois par an, ces artistes se font balancer en l’air par les porteurs ou sautent dans le vide à partir de leur plateforme en espérant qu’on les attrape de l’autre côté, quand la balançoire russe ou le pivot complétera son mouvement juste au bon moment, juste au bon endroit… Faut le faire, quand même! Très peu pour mes petits pieds de gigueuse, merci! Leur acte sera remplacé sous peu par un nouveau numéro de trapèze. Alors, pour rendre hommage à ces oiseaux humains que j’admire, voici un petit mot sur les voltigeurs (tous russes) qui ont fait partie de l’équipe de ZAIA depuis 2008.
Victor
L’excentrique, l’incarnation même d’un circassien, qui rape en russe à l’arrière-scène, apprend le breakdance sur Youtube et rayonne toujours de bonne humeur. Victor aux mèches rebelles qui sortent de sous son chapeau, aux petits pieds fléchis, dont les jambes agiles foulent le filet à grandes enjambées, comme un petit lézard qui court sur l’eau. Sur la plateforme, prêt pour le saut final, il semble calme et immobile. Mais le bout de ses doigts et de ses orteils pianotent, trahissant une certaine fébrilité. Il se balance au bout des bras des porteurs, un genou se fléchit systématiquement. La petite patte pliée, c’est Victor!
Denis Ovcharenko
Petit blondinet au regard lumineux. Prêt à sauter dans le vide, il trouve toujours le temps de regarder son public en souriant. Dans les airs, dans le filet, tenu par les porteurs ou en pleine chute, tout est sous contrôle. Pas de panique! Denis inspire le calme, peu importe la pirouette. Le temps s’arrête, le tableau se fixe, on conserve l’image de ce voltigeur, les bras bien tendus vers l’avant, cherchant les mains de son porteur. Pacifisme, flegmatisme, c’est Denis Ovcharenko!
Denis Partsvanya
Attention, c’est sérieux avec Denis Partsvanya! Même après la plus belle prouesse, son visage reste impassible et légèrement sévère. Comme il a dû en souper, des entraînements rigoureux! Capitaine de l’équipe, il fut longtemps le seul à pouvoir réussir le passage final, le triple salto. Avant d’y aller, une grande respiration en élevant les bras, une expiration bien assumée qui fait gonfler les joues, visiblement une certaine nervosité. De la peur, peut-être. Assurément, beaucoup de concentration. C’est Denis Partsvanya!
Olga
Russe, osseuse, forte, Olga me fait peur. Elle est si petite, elle est si légère qu’on craint qu’un jour elle soit balancée au-dessus de la structure. Elle fait ce 360 autour du pivot, la tête en bas et les pieds dans les nuages, sa petite jupette rose qui flotte au passage. Arquée comme une banane, ses longs bras tendus vers le prochain porteur, on la regarde en retenant son souffle. Mathématiquement, ça semble impossible qu’on l’attrape. Mais au dernier moment, go go gadget aux bras! elle étire encore un peu plus et ça y est, ses menus poignets rejoignent les mains solides de ses porteurs. Un autre passage complété grâce à cette rallonge de bras sortie d’on ne sait où! Elle rajuste sa cagoule de chat et salue avec le sérieux et la fierté d’une gymnaste qui termine sa routine, le menton levé, les bras bien tendus, les doigts des mains raides et bien écartés. Quand je la croise dans les coulisses, elle plante ses rondes prunelles noisette dans mon regard bleu. « Priviet! », déclare-t-elle avec assurance. C’est Olga!
Nina
Méticuleuse, appliquée, mini, son style est propre et ses positions, précises. Dans les airs, en grand écart, elle défie la gravité et remonte au lieu de chuter, juste en serrant un peu les jambes. Puis, propulsée par le porteur, les deux pattes maintenant bien ensemble, elle jette son tronc en avant et vole encore, droite comme une planche. Je n’ai jamais compris comment elle faisait pour ne pas succomber aux effets inéluctables de la gravité. Parfois, aussi, elle tombe dans le filet et rebondit, assise sur ses fesses comme une petite poupée. Mignonne et menue, c’est Nina!
Elena
Grande, élégante, élancée, Elena nous surprend et survole le pivot et son porteur. Il la balance au suivant et ses grandes jambes s’écartent comme deux lames de ciseaux. Toujours un petit sourire en coin, le regard espiègle et légèrement taquin. « Au fond, tout cela n’est qu’un jeu, et je ne suis qu’une gamine qui rêve de s’envoler », semble-t-elle nous dire. Avec son mari, l’entraîneur de l’équipe, elle enseigne son savoir à son petit garçon, Nikita, 7 ans. Le cirque : une histoire de famille, un rêve de jeunesse. C’est Elena!
Oleksyi
Qu’il est fort, Oleksyi! Permier passage, il faut y aller doucement pour ne pas passer tout droit! Il vole d’un porteur à l’autre, ses jambes immobiles et fortes comme la pierre semblent soudées l’une à l’autre, son torse compense en arrondissant les épaules, parce que chaque centimètre vers l’avant fait une différence. Sur la plateforme, juste avant de sauter, on le sent bien fébrile. Il se tient bien raide, légèrement incliné vers l’arrière, les bras le long des cuisses, les mains fixes, le menton levé, le regard vers le filet. Comme si c’était une question de vie ou de mort. Tous les jours, je l’imagine jeune homme d’une tribu, au bord d’un ravin, qui s’apprête à compléter un rituel qui pourrait lui être fatal. C’est un peu cela, en fait. Le filet n’épargne pas des blessures. La touche finale, Oleksyi vole au-dessus du pivot, traverse la moitié de la structure pour atterrir en plein centre du filet. De la fougue et de la force. C’est Oleksyi!
Et, bien sûr, rien de cela ne serait possible sans leurs solides et fidèles porteurs!
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1 commentaire:
Est-ce que tu fais traduire ça en russe?
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